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Pas de pays sans paysans...

Les élus de la Loire invités à s’engager

mercredi 23 septembre 2009

Ce qui s’est passé ce lundi après-midi à la Plaine Achille est une leçon de choses sur la façon dont la société peut faire avancer d’autres solutions que celles cuisinées dans les antichambres ultralibérales (voir l’action du matin)

12h45, Plaine Achille. Branle-bas de combat. Une douzaine de fourgons de gendarmes sont là. L’info vient d’arriver que les paysans montent à la foire. Les talkie-walkies chauffent et les ordres claquent. Tout ce qui est barrières est déplacé sur le boulevard Jules Janin. Un barrage du côté de Chateaucreux, un autre du côté du pont de Carnot. On ne sait pas encore de quel côté ils vont arriver, mais les paysans arrivent... Les gendarmes prennent leurs boucliers, leur harnachement et tout leur équipement pour le combat de rue, et commencent à se placer, les uns derrière les autres, par petits groupes, le long des fourgons alignés derrière les barrières.
Vers 13h, tracteurs en vue du côté du pont de Carnot. Ils viennent se ranger - avec deux citernes remplies de lait tournées du bon côté - devant le barrage des forces de police. Et puis des centaines de paysans arrivent, à pied et en voiture.




Arrivés plaine Achille, contact téléphonique avec le Préfet de la Loire. Il dit que ce qui vient de se passer à la Chambre d’Agriculture, ce n’est pas grave. Lui aussi doit penser qu’il y a des gens qui ne sont plus défendables !... Mais ce qui se passe à la Foire économique, ça c’est grave...
Au fond donc, tout le monde pense que la situation est grave.

Interdiction pour les paysans d’avancer et d’aller discuter avec les élus, qui sont au banquet tout près de là, dans le Flore.
Alors demande est faite que les élus sortent, pour montrer leur soutien, et viennent discuter avec les paysans. Chacun essaie de contacter par téléphone le maire de sa commune pour lui expliquer la situation et lui demander de sortir.
Apparemment, consigne a été donnée (par qui ?) aux élus de ne pas bouger. Il se dit même que les portes sont fermées, et que c’est pour ça que personne ne sort. Au bout d’un moment, 3 élu-e-s passent outre et viennent discuter avec les paysans : la maire de Montbrison et conseillère générale Liliane Faure, la conseillère générale de Roche la Molière Arlette Bernard et le conseiller général et maire de Chenereilles Serge Vray. Bien, mais pas suffisant. Discussion sympathique avec eux, puis demande leur est faite de demander aux autres élus de venir. Les paysans attendent des signes forts de soutien.
Très longue attente.
Et puis une nouvelle délégation d’élus apparaît. C’est déjà mieux : ils sont plus nombreux. Jean-claude Tissot, conseiller général et maire de St-Marcel de Félines, lui-même militant de la Confédération Paysanne, est là, ainsi que les deux députés J-Louis Gagnaire et Régis Juanico, le maire de St-Etienne Maurice Vincent, et la députée européenne Françoise Grossetête.
La discussion commence. La demande des paysans est : nous avons besoin de votre soutien.








Régis Juanico explique que dans cette affaire, les députés PS étaient là, qu’ils sont intervenus, qu’il fallait agir bien sûr sur les questions de trésorerie, "mais surtout de façon structurelle" et "revenir sur trois décisions néfastes”. Dont la suppression des quotas en 2015 et “le vote de la loi de modernisation de l’économie”. Totalement à côté des demandes précises et urgentes des paysans sur la baisse de 5% immédiate des volumes et un prix du lait à 35-40 centimes le litre...
Ce qui est désolant, c’est le décalage des réponses des élus. Il est même rappelé qu’un voeu a été voté à l’unanimité au conseil général il y a quelques mois. La belle affaire : lundi 14 septembre en préfecture, le président du conseil général Bonne en personne a proposé aux paysans de s’inscrire au RSA... “On fait remonter, mais il y a des limites. C’est une question européenne...”
Le maire de St-Etienne prend la parole à son tour. Remercié pour le comité d’accueil de gendarmes, il répond qu’il n’y est pour rien. Dont acte. Ensuite, il indique que “la ville de St-Etienne essaie de relayer vos demandes légitimes sur le prix du lait (...) Mais on ne prétend pas tout régler”... “Faut-il aller vers une politique plus agressive ?”. Il ne sait pas, il “ne dit pas non”, mais il “s’interroge”, puisque “de toutes façons c’est au niveau gouvernemental et européen que ça se décide”.
Décidément, tout le monde ici ne parle pas la même langue. Protestation de Laurent Pinatel : “on vous demande de l’action et vous nous offrez de la compassion. Regardez-nous dans les yeux, on va crever ! On vous demande des actes de résistance !”.
Le député Gagnaire dit alors que le groupe PS est très mobilisé...
Laurent Pinatel : “vous n’avez pas voté contre Barroso (...) pourquoi vous n’avez pas voté contre Barroso ?”
Alors la députée européenne UMP ultralibérale Grossetête, proche de Barroso, monte au créneau : “le problème n’est pas Barroso, c’est Fisher-Boel”. Et elle ose affirmer qu’elle et les siens ont voté pour une régulation et pour le maintien des quotas. Duplicité totale, madame Grossetête.

Ce qui est dit par les élus n’est pas à la hauteur. En plus, il y a le ton avec lequel c’est dit : un ton qui dit d’abord “c’est pas nous”, et puis tout de suite après “on n’y peut rien” ou “on y peut pas grand chose”, pour finir par “faites nous confiance, on s’occupe du problème”, et des phrases qui n’annoncent aucune action, aucun engagement fort des élus.

Insupportable. “ça va péter cette semaine dans les campagnes. Ça fait un an qu’on est parti en action, et toujours rien pour régler le problème...”
Apparemment, là aussi il y a besoin de montrer des images. Poursuivre cette discussion comme ça n’a aucun sens. Il faut remettre la gomme, il y a besoin d’un électrochoc. Tout le monde recule précipitamment et les citernes entrent en action. Les gendarmes, eux, ont eu l’ordre de ne pas reculer et l’orage de lait s’abat sur eux, leurs grenades, leurs masques, leurs matraques et leurs camions (1). Au moins on ne sera pas venu pour rien... Et puis ça calme et ça rappelle à tout le monde le sujet du débat : le lait. C’est là dessus qu’on veut entendre les engagements des élus et leur soutien !





Pendant que tout le monde discute à nouveau par petits groupes, demande est renouvelée que tous les élus arrêtent de banqueter et viennent - tous - affirmer leur soutien aux paysans, rencontrer les paysans de leur commune qui sont sur le boulevard.
Attente. Longue. On en profite pour sortir les sacs et casser la croûte. Et puis comme ça ne vient toujours pas, une délégation va essayer d’y aller. Thierry Pallanche, de la Conf’, un militant de la FDSEA/JA et un militant de la Coordination rurale réussissent à rentrer dans le Flore et à prendre la parole dans le banquet. Jean-claude Tissot prend aussi la parole pour inviter les élus à sortir.

Enfin, à 14h45, mouvement de foule : les élus de plus de 300 communes de la Loire ont suspendu leur repas et viennent discuter avec les paysans. La discussion s’engage d’abord par petits groupes, souvent entre élus et paysans d’une même commune. Pendant un moment, l’ambiance est particulière, quelque chose de nouveau flotte dans l’air. Enfin, quand même, ils sont sortis ! Ils ont vu qu’on existait, qu’on était là. C’est évident que ce qui est en train de se passer ici ne fait pas plaisir à tout le monde, mais il y a aussi beaucoup de poignées de mains chaleureuses, car dans certaines communes, on se connaît bien...

Et puis la discussion générale commence, et Thierry Pallanche appelle à l’engagement des élus.






Philippe Marquet rappelle que la moyenne des fermes laitières dans la Loire, c’est 200 000 litres de lait, et que chaque paysan perd 15 000 euros par an. Il rappelle la place que les paysans tiennent dans l’économie locale. Et un paysan, c’est ensuite de l’emploi pour 7 actifs. “si nous paysans on crève, vos communes crèveront”. Une chose dont les maires ruraux présents ici savent bien la justesse.
Les paysans veulent la réduction de 5% des volumes de lait produits, et un prix juste payé aux producteurs. Ça, ça ne coûte rien au budget de l’Etat, ça coûte zéro au contribuable. “Ce qu’on est venu vous demander, ce n’est pas de l’argent, c’est votre soutien”. Il demande aux élus d’agir ! “Une chose qu’on ne supportera plus, c’est que vous nous disiez : “on n’a pas de pouvoir”.

Michel Gandhillon, paysan et élu lui-même (mais qui était à la manif !) fait une proposition : l’organisation d’une journée “mairies fermées” dans tout le département. Bonne idée. Une date est lancée : ce mercredi 23 septembre. La discussion repart...

La parole à M.Barnier, maire du Chambon, président de l’association des maires de la Loire. Il commence par un numéro sur les élus et la démocratie : c’est pas génial mais on n’a rien trouvé de mieux encore... Et patati et patata... M. Barnier tient à défendre les élus. Hors sujet : aujourd’hui, ce sont les paysans qui ont besoin de soutien, et sont justement venus demander du soutien aux élus qu’ils ont élus. Brouhaha. “Pas de baratin !”. Les demandes se multiplient qu’il en vienne au problème. Mais il prend ça de haut et explique en gros qu’il faut bien prendre la mesure du fait que les élus - et il les y a appelés, lui-même, personnellement - ont daigné sortir du repas de la foire économique - la foire économique, ce n’est est pas rien - qu’on se rende un peu compte...
Cette fois, c’est trop. C’est évident que la mobilisation des mairies ne passera pas par le président des maires de la Loire. Quelqu’un dit à M. Barnier qu’il a épuisé bêtement son temps de parole. Et le micro part ailleurs pour pouvoir revenir sur le sujet du jour.








Jean Guinand : “le prix du lait, c’est 35 000 producteurs qui vont crever. Et on n’a pas envie. Vous devez faire quelque chose, d’urgence”...
Quelques secondes d’hésitation, et puis des maires prennent la parole.
Le maire de Marlhes annonce qu’il fera une “journée mairie fermée” mercredi. Et qu’ils ont déjà voté la motion de soutien.
Le Maire d’Unieux C. Faverjon annonce que le conseil municipal qui se réunit bientôt votera la motion de soutien (envoyée il y a 15 jours dans toutes mairies du département) et qu’il organisera une journée mairie fermée en solidarité avec les paysans.
Le président de la communauté de communes Loire-Forez (45 communes), Alain Berthéas, fait savoir qu’ils ont voté une motion de soutien et qu’il est pour une journée “mairies fermées”.
Le Maire de Ste-Foy St-Sulpice JL Suzy annonce qu’ils ont aussi voté cette motion.
Le Maire de st-chamond Philippe Kizirian annonce qu’ils voteront la motion au conseil municipal du soir même, et ils fermeront la mairie une journée.
Le maire de St-Etienne Maurice Vincent, président de St-Etienne métropole, annonce qu’il va convoquer une réunion urgente du bureau de St-Etienne Métropole (43 communes) jeudi pour prendre une position de soutien et proposer une date commune de fermeture des mairies (lundi 28 ?).

Au fil des minutes, on revient donc au réel. Il a quand même fallu 3 heures pour que tout le monde remette les pieds sur terre.
Si les engagements qui ont été pris ce lundi devant les paysans sont tenus - et il n’y a pas de raison qu’ils ne le soient pas, dans la plupart des communes tout au moins, car de nombreux maires, “de toutes sensibilités” comme on dit, sont bien placés pour savoir ce qu’il en est de la situation des paysans, le soutien à leur lutte devrait se renforcer dans les tout prochains jours.

Jean Guinand rappelle que c’est une semaine décisive qui commence. L’action des paysans a déjà des résultats. Le Maire a annoncé samedi qu’on ne parlerait plus de contractualisation. Et que “l’interprofession” avait peut-être vécu (un machin qui permet aux grands groupes et à ceux que ces groupes contrôlent d’imposer leur loi aux paysans).
Ce lundi, l’action des paysans est passée à un degré supérieur. Elle va continuer, déterminée.

Il est vers 16h. De nombreux élus viennent de s’engager à se bouger. Les paysans redisent qu’ils comptent sur un vrai soutien, et annoncent qu’ils rentrent dans leurs fermes. Parce que ce soir il faudra traire et faire le boulot, comme d’habitude.

Ce qui s’est passé ce lundi dans la Loire est au diapason de la mobilisation en France et en Europe. On apprendra dans la soirée que la grève du lait se renforce en Europe. Que des laiteries commencent à manquer de lait. Et que des filtrages effectués dans certains départements indiquent l’arrivée vers certaines laiteries de camions qui viennent de très loin...

Les paysans vont peut-être remporter une victoire européenne contre le néo-libéralisme. C’est le moment de tenir bon, et pour les citoyens d’affirmer notre solidarité avec les paysans.

(1) Juste avant l’épandage de lait, un CRS a gazé dans les yeux François-Pierre, jeune paysan de St-Genest, qui était tout près d’eux. Douleur horrible. Devant, ça pique la gorge et le nez de tout le monde, mais lui a pris ça dans les yeux. Il hurle de douleur, demande de l’eau, n’y voit plus rien, court, tombe, se relève, jusqu’à ce que des copains l’emmènent à l’écart et essaient de lui laver les yeux.
Quand on a décidé ou qu’on a été forcé de faire ce boulot là, il n’y a pour certains pas de petites satisfactions...